Archiscopie 38 - octobre 2024

Éditorial

Entre espace et volumes - On n’avait pas attendu les anges des Ailes du désir infiltrés par Wim Wenders dans la bibliothèque de Hans Scharoun à Berlin pour rêver dans un univers de livres.

Mais quelles espèces d’espaces pour les volumes, quels lieux pour la lecture ? La question se pose d’autant plus que notre relation à l’écrit a changé. Même si le papier existe toujours, la page s’est dématérialisée, les nouvelles technologies nous ont ouvert le champ de l’hypertexte. Dès lors, la recherche peut se faire en dehors de ce type de lieu qui est sacralisé depuis la première bibliothèque d’Alexandrie, partie en fumée, comme celle imaginée par Umberto Eco dans Le Nom de la rose… Et l’on ne saurait oublier que de la bibliothèque de Celsus à Éphèse, incendiée en 263, seule reste l’architecture, monumentale : l’une des plus belles ruines antiques.
Programme des plus excitants pour un architecte, la bibliothèque est un sujet éminemment spatial, entre géométrie et typologie. Si la lumière en est une des clés, le silence en est une autre. Étienne-Louis Boullée l’a imaginée de manière somptueuse en 1785. Puis, dans la figure du cercle, Gunnar Asplund à Stockholm et l’Atelier de Montrouge à Clamart ont conçu des bâtiments aux antipodes de toute approche générique. Idem pour Louis Kahn à New Haven ou Alvar Aalto à Viipuri…
On se souvient du grand débat qui opposa, à l’aube des années 1990, le bloc pensé par Rem Koolhaas aux quatre livres ouverts conceptualisés par Dominique Perrault, lors du concours pour la Très Grande Bibliothèque à Paris. Priorité a été donnée à celui qui offrait le plus d’espace public avec cette grande plateforme qui établit une relation avec la ville. Depuis, on a vu d’autres projets réinterroger le modèle de la bibliothèque. À Seattle, un bâtiment de verre vertical plié par OMA, à Mexico, la Biblioteca Vasconselos de Alberto Kalach et sa rue intérieure, à Bogotá, la bibliothèque-paysage de Rogelio Salmona, où l’espace public sert de fil conducteur… On a vu aussi comment Du Besset et Lyon se sont ingéniés à faire exister la culture derrière un McDo à Troyes et comment, très récemment, les architectes de Suma ont réussi à faire cohabiter une bibliothèque avec le siège de la police dans un quartier populaire de Barcelone.
Déjà la médiathèque avait contribué à renouveler le genre, à sa manière. À l’heure du laptop sont apparus des lieux liés aux nouvelles pratiques, surtout dans le domaine universitaire. Ne m’appelez plus bibliothèque, mais learning center… À Lausanne, le Rolex Learning Center du campus de l’EPFL, qui décolle du sol, a donné comme le top départ pour d’autres explorations spatiales et d’autres manières de travailler. Dans sa souplesse formelle, l’architecture de SANAA crée un paysage intérieur tout en douceur. Wenders, encore lui, en fera un film… À Paris-Saclay, le Lumen ne se soulève pas mais suit la courbe de l’infrastructure aérienne du Grand Paris Express. Le duo Beaudouin, avec l’équipe sévillane MGM, a conçu là un lieu traversant très agréable baigné de lumière. À chaque fois, c’est l’histoire d’un scénario écrit.
Francis Rambert

Parution le 18 novembre

 

SOMMAIRE


LE THÈME

 

La bibliothèque : chant du cygne ou signe des temps ?
par Philippe Trétiack
La numérisation et les supports dématérialisés qui ont envahi notre univers n’ont pas freiné la construction de bibliothèques. Sur les traces d’Henri Labrouste, les architectes, inspirés par Étienne-Louis Boullée comme par Jorge Luis Borges, continuent à imaginer ces lieux dédiés à l’écrit. Mais quels sont les espaces adaptés à l’étude, voire au seul plaisir de lire ? Quelle que soit son échelle, la bibliothèque contemporaine se nourrit autant de la lumière naturelle que de la ville qui l’entoure. Décodage à l’échelle mondiale.

Géométrie de la bibliothèque idéale
par Richard Scoffier
La bibliothèque ne peut pas être appréhendée comme un simple contenant : elle participe en effet activement au projet de retranscription de la totalité du monde dans un système de représentation et tend à se poser dans l’espace comme un signe incluant tous les autres signes.

Le campus universitaire américain, ou l’invention d’une “cité” de la connaissance
par Gilles Davoine
Sur un modèle inventé il y a près de 400 ans, le campus universitaire américain, ensemble de bâtiments disposés dans un site paysager initialement à l’écart des villes, reste l’une des formes spatiales les plus originales qui soit, une cité tout entière dédiée à la recherche et à la transmission du savoir.

Interpréter le rêve borgésien
par Bernard Desmoulin
L’auteur de la transformation réussie d’une piscine en médiathèque à Saint-Maixent-l’École, dans les Deux-Sèvres, nous dit l’importance de réfléchir en termes non de forme mais d’usage.

Haute culture
par Francis Rambert
À Barcelone, dans le quartier dense de Sant Martí de Provençals, la bibliothèque Gabriel García Márquez est une belle respiration. Ses auteurs, les Madrilènes Elena Orte et Guillermo Sevillano, signent là une oeuvre très importante pour eux comme pour la ville. Derrière les façades pliées, la structure bois prend tout son sens.

Machines de la connaissance
par Mélanie Meunier
En moins de vingt ans, Google Books est devenu la plus grande bibliothèque de tous les temps. Mais bien avant le géant du Web, d’autres ont nourri des objectifs similaires et cherché à organiser les informations et la connaissance à l’échelle mondiale.

L’amour des livres. Les architectes et leur bibliothèque
par Guy Lambert
L’idée, prévalant depuis la Renaissance, que l’architecte exerce un métier à la fois intellectuel et pratique a fait de sa bibliothèque l’un des attributs naturels de ses activités et de son statut. Outil de travail et source d’inspiration, ce lieu de savoir et de plaisir a suscité ces dernières années de nombreuses publications qui en interrogent le rôle polyvalent.

Au cœur du projet urbain
par Gabriel Ehret
Créer une médiathèque, outre le fait d’offrir la culture à tous, peut représenter pour les collectivités territoriales un moyen privilégié de consolider leur projet urbain ou d’appeler à un engagement citoyen. Une université peut être amenée à repenser le fonctionnement de sa bibliothèque patrimoniale. De tout cela, l’agglomération lyonnaise fournit des exemples.

Machine à écrire et “machine à habiter”
par Baptiste Boleis
En marge de l’écriture architecturale d’un projet, la notion de machine interroge. Tandis que Le Corbusier préconisait “une maison pratique comme sa machine à écrire”, Archizoom imaginait No-Stop City à partir de ce même outil.

Bibliothèques de cinéma : énigmes et émancipations
par Joachim Lepastier
Labyrinthe, forteresse, sanctuaire, chambre des secrets, la bibliothèque demeure un espace clé de la fiction. Qu’on y lise, qu’on y enquête, qu’on y flâne ou même qu’on y danse, elle demeure un lieu initiatique qui transforme ses lecteurs et lectrices.

De la bibliothèque au learning center - Repères chronologiques, XIXe-XXIe siècle
par Christine Carboni
 

 

L’ENTRETIEN

 

Pierre-Antoine Gatier
“L’architecture a cette capacité de mobiliser l’imaginaire pour réinventer”
Propos recueillis par Francis Rambert
Passionné par les grandes charpentes des cathédrales, il s’est très vite intéressé aux structures de béton. S’il a choisi d’être architecte en chef des monuments historiques, Pierre-Antoine Gatier, marqué aussi par le mémorial des martyrs de la Déportation de Pingusson à la pointe de l’île de la Cité, s’est fait une spécialité de travailler sur le patrimoine moderne sans abandonner pour autant ses chantiers sur des bâtiments plus anciens comme les fortifications de Bonifacio ou la villa Médicis à Rome. De Freyssinet à Gailhoustet, de Roux-Spitz à Mallet-Stevens, d’Eiffel à Dubuffet, il travaille sur les traces de la Modernité. Enquêteur, chercheur, révélateur, il aime à retrouver l’esprit des lieux, de la villa E-1027 à Roquebrune-Cap-Martin à la Bourse de Commerce à Paris en passant par l’école de plein air de Suresnes, construite par Beaudouin et Lods, et l’aérogare des Invalides à Paris, bientôt reconvertie par Dominique Perrault pour accueillir la Fondation Giacometti. Entre restauration et transformation, l’enjeu de la conservation se révèle dans une forme de réinterprétation, voire de réinvention. Interroger la structure comme la matière, c’est le sujet.

 

L’ESPACE CRITIQUE


Tendance
Les cheminées vont-elles s’arrêter de fumer ?
par Richard Scoffier
Réchauffement climatique oblige, les cheminées se réinventent : elles rejettent moins de fumée mais de plus en plus d’air vicié, quand elles ne captent pas les vents pour participer à la mutation générale des toitures qui ajoutent la collecte des eaux pluviales et du rayonnement solaire à leur fonction de protection.

Le défi climatique d’une capitale en ébullition
Entretien avec Thibaud Babled
par Sophie Trelcat
À Paris, deux opérations de logements sociaux réalisées dans des situations urbaines différentes, La Métropolitaine dans le 17e arrondissement et l’îlot Fulton dans le 13e, répondent aux attentes du plan Climat. Entre typologie et densité, l’architecture du bien-être prend forme.

Le socle, certes
par Francis Rambert
Se lancer dans l’extension de la Fondation Maeght, haut lieu de la culture à Saint-Paul-de-Vence, relevait du défi. Pour Silvio d’Ascia, reprendre la suite de l’oeuvre de Josep Lluís Sert, soixante ans après, n’était en effet pas sans risque. Quand évidence rime avec pertinence.

Paul Chemetov, le penseur constructeur
par Francis Rambert, Éric Lapierre, Alexandre Chemetoff
La Cité de l’architecture et du patrimoine a consacré une soirée d’hommage à Paul Chemetov le 30 septembre dernier. Parmi les contributions, nous publions de larges extraits de celle d’Éric Lapierre, architecte praticien et enseignant né en 1966, et de celle du fils de Chemetov, l’architecte, urbaniste et paysagiste Alexandre Chemetoff. Tous deux témoignent de la position singulière et inspirante de l’inventeur du “bris-collage” et d’une pensée constructive partagée.

 

 

LA BIBLIOGRAPHIE
 


 

Trimestriels parus