La reconstruction des villes
Plus qu’une affaire de conservation de monuments, la notionde patrimoine évoque la question de l’identité des villes ou des pays.Les traces de leur histoire sont constitutives de leur présent,la culture ne pouvant exister sans mémoire.
Ainsi tout projet de reconstruction de ville1, détruite par la guerre ou par une grande catastrophe, a-t-il nécessairement une dimension politique et symbolique forte, car il est porteur d’un message, plus ou moins explicite. Il peut vouloir stigmatiser les blessures, garder des cicatrices ouvertes pour dire aux nouvelles générations “plus jamais ça”, en inscrivant des ruines ou un monument commémoratif dans le paysage urbain, comme l’église du Souvenir à Berlin ou le mémorial proposé par Libeskind pour Ground Zero. Il peut au contraire vouloir effacer les traces du traumatisme pour tourner la page. À l’échelle de la ville, cette deuxième attitude s’impose si l’on ne veut pas engendrer une mélancolie collective, les lieux de recueillement se faisant discrets et silencieux. Les débats autour des villes reconstruites éclairent la question du patrimoine en montrant sa complexité, entre dimensions symboliques et matérielles. Reconstruire “à l’identique” est tout sauf objectif, puisque l’état initial que l’on est supposé restituer est toujours discutable et pas forcément documenté (on trouve le même problème pour la restauration des monuments). Ainsi la ville de Varsovie, rasée à 85 % pendant la seconde guerre mondiale, fut-elle reconstruite non pas en son état d’avant-guerre, mais en s’inspirant plutôt de celui, plus prestigieux, représenté par le peintre Bellotto au XVIIIe siècle. Tel le phénix qui renaît de ses cendres, elle affirmait ainsi, au-delà de son identité, son invulnérabilité. Elle a pris sa revanche en éliminant symboliquement l’ennemi par l’effacement des traces de son passage, désormais plus belle qu’avant-guerre grâce à la machine à remonter le temps qu’est sa reconstruction. La réussite est complète puisque son “centre historique” (des années 1960) sera inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco2 en 1980. D’autres villes ont aussi fait le choix d’une reconstruction “à l’ancienne”, pratiquée de diverses manières, entre imitation et déclinaison de types locaux comme à Saint-Malo. D’autres encore ont “profité” avec plus ou moins de bonheur des destructions pour prendre le tournant de la modernité architecturale, comme Le Havre reconstruit par Perret (qui a d’ailleurs posé sa candidature au Patrimoine mondial au titre du patrimoine du XXe siècle), Brest ou plus encore Royan. Les deux attitudes sont respectables, dès lors qu’elles relèvent d’une conviction profonde, liée au contexte. Pour les reconstructions à venir, les architectes sauront-ils éviter la disneylandisation qui guette un projet urbain pensé comme un décor et non comme partie intégrante d’une culture vivante ?
Gwenaël Querrien
1 - Cf. § Actualité, colloque Villes reconstruites, et exposition Eiermann.
2 - 214 villes sont inscrites à ce jour, en général pour un secteur particulier, de Dakar (île de Gorée) à Brasilia, en passant par Kyoto, Bam (inscrite en 2004, suite au tremblement de terre de décembre 2003), Damas, La Havane ou Paris.