Éditorial
Barrières esthétiques - Nice, Berlin, Londres, Barcelone… Suite aux récentes attaques terroristes perpétuées en rafales sur l’espace public européen, l’impératif de la sécurité est plus que jamais à l’agenda de toutes les villes.
Les lieux de la mobilité combinant grande attraction et grands flux sont particulièrement à risque. De la même manière que les ambassades ont pris des mesures anti-voiture bélier depuis des années, force est de constater qu’il y a urgence à agir sur le domaine de l’espace public, désormais à la merci des véhicules tueurs. Tout porte à croire que ces installations seront pérennes, tant l’actualité apporte son flot d’horreurs, sur une promenade, un marché, un pont… D’où les dispositifs massifs et dissuasifs qui se profilent dans le paysage urbain. Dès lors, la question de la protection ne serait-elle pas aussi un sujet d’architecture ?
À Paris, c’est la voie de la transparence qui a été choisie avec la construction d’une nouvelle enceinte de verre au pied de la tour Eiffel d’ici l’été 2018. Dietmar Feichtinger a conçu une paroi qui fait écran pare-balles sans barrer la vue, un ruban protecteur assorti de plots habillés en inox. En Italie, c’est la piste végétale qui semble être privilégiée. Stefano Boeri, auteur du Bosco Verticale (deux tours porteuses d’arbres à Milan) préconise en effet de contre-attaquer à l’arme verte pour éviter que les villes ne se transforment en une forêt de check-points bardés de barrières de béton gris passe-partout. Fin août, la ville de Florence a déclaré qu’elle lançait un appel à idées afin de trouver comment accroître la sécurité sans renoncer à la beauté de la ville. Et la municipalité de Rome n’a pas tardé non plus à mettre en place une batterie de grands bacs à fleurs devant le palais du Quirinal. À Nice, sur la promenade des Anglais, en plus des 400 palmiers, un système de doubles filins fixés à des plots métalliques tous les dix mètres vient désormais parer à l’intrusion des véhicules dans l’espace piéton, sur trois kilomètres de longueur. Mais comment vont être équipées les Ramblas de Barcelone, qui a une véritable tradition d’intervention des architectes sur l’espace public, de Gaudí à Miralles et Carme Pinós ? On le voit, la marge est étroite entre un dispositif qui pourrait être vécu comme anxiogène et un système qui assure autant qu’il rassure. Comment préserver malgré tout les séquences d’urbanité qui font l’identité de nos villes, tel est le nouvel enjeu.
Francis Rambert
SOMMAIRE
POSITIONS - DÉBATS
Paris : opération à cœur ouvert
par Jean-François Pousse
Une mission pour une réflexion ouvrant sur une grande mutation. Revisiter l’île de la Cité d’une manière prospective, c’est ce que proposent Dominique Perrault et Philippe Bélaval. Et si la rue de Lutèce devenait la colonne vertébrale de l’opération ? Mais peut-on toucher au cœur de Paris ? C’est toute la question.
Ispahan, rivière sans retour
par Francis Rambert
Que faire lorsqu’une ville a perdu sa rivière ? En Iran, la métropole d’Ispahan ne voit plus vraiment l’eau couler sous ses ponts, dont les plus anciens, de la brillante époque safavide, ont contribué à en faire une cité unique. Sur place, une université d’été a ouvert quelques pistes pour imaginer l’avenir de cette ville ainsi déshydratée. Entre résurgence et résilience, le débat est ouvert.
AU PIED DU MUR
Pavillon des palabres sur gazon anglais
par Sophie Trelcat
À Londres, c’est un rendez-vous annuel moins connu que le tournoi de Wimbledon, mais tout aussi attendu. Depuis 2000, sur la pelouse des jardins de Kensington, l’expérimentation fuse à travers une installation : le pavillon de la Serpentine Gallery. Cette année, Diébédo Francis Kéré a été invité à imaginer une architecture éphémère. Dans ce contexte, il a quitté la brique de terre pour la brique de bois.
Un maillon blanc sur la ceinture rouge des Maréchaux
par François Lamarre
À Paris dans le 20e arrondissement, les architectes Naud & Poux ont conçu leur projet de logements sociaux dans une optique de prospective urbaine. Une opération marquée par une densité élevée, où des maisons à ossature bois ont élu domicile sur le toit de l’immeuble. L’enjeu est d’anticiper les surélévations et autres extensions à venir.
Immeuble de logements sociaux, 138-140 boulevard Davout, Paris 20e. Élizabeth Naud & Luc Poux, architectes associés. Surface : 5 600 m2 Hon.
Un peu d’habitation parmi les tours de bureaux
par François Lamarre
À La Défense, il s’agissait pour l’architecte Louis Paillard d’insérer une petite tour de 282 logements dans un contexte hérissé de grandes tours à fonction tertiaire. Une silhouette anguleuse se découpe ainsi dans l’ouest parisien.
Tour Skylight, 1-3 terrasse Valmy, Puteaux (Hauts-de-Seine). Louis Paillard architecte. Surface : 11 475 m2 Hon.
Le vin et la pierre sous le soleil du Sud
par Christine Desmoulins
Non loin du Thoronet, l’architecte Carl Fredrik Svenstedt signe un nouveau chai pour les Domaines Ott, dans le Var. Une architecture de pierre massive qui tente de jouer sur la légèreté pour échapper à l’effet de bloc.
Chai du château de Selle, route de Flayosc, Taradeau (Var). Carl Fredrik Svenstedt architecte, Christophe Ponceau et Mélanie Drevet paysagistes. Surfaces : 4 200 m2 (chai), 850 m2 (bâtiment annexe).
CULTURE
Hommage à Stéphane Hanrot
par Marc Barani
Deux Américains à Paris
par Serge Santelli
L’un était historien, l’autre architecte. Brian Brace Taylor et David Bigelman, tous deux disparus cette année, avaient d’abord choisi de s’établir en France. Leur rencontre avec Bernard Huet sera déterminante dans cette aventure cimentée par l’amitié.
Exposition
Un jardin non végétal dans le paysage de Beaubourg
par Jean-Pierre Le Dantec
Intéressante correspondance au Centre Pompidou, tandis que David Hockney nous invite à nous immerger dans son univers, Bernard Lassus nous plonge dans l’imaginaire de son “Jardin Monde”, une œuvre conceptuelle. Lumière, couleur, mouvement. L’idée est de ne pas céder à la mode de la végétalisation de l’architecture.
Deux expositions de Bernard Lassus au musée national d’Art moderne – Centre Pompidou, à Paris :
– “Jardin Monde”, installation sur la terrasse (niveau 5), du 24 mai au 23 octobre 2017.
– “Un art de la transformation, le paysage”, accrochage d’une sélection de ses œuvres issues des collections du musée, du 24 mai au 28 août 2017.
Cinéma
Une poétique du paysage
par Rémi Guinard
En fait, le cinéma d’Andreï Zviaguintsev aurait tendance à nous en dire plus sur le paysage urbain, comme sur le paysage rural en général, que sur la Russie d’aujourd’hui. Sauf si l’on en vient à explorer l’espace du logement, théâtre d’un drame social et familial dans son dernier film Faute d’amour. Il y a de la destruction dans l’air.
Film d’Andreï Zviaguintsev (Russie / France / Belgique / Allemagne, 2017, 127’).
Livres
Lire les cartes et revoir le globe
par Jean-Pierre Le Dantec
Source d’évasion et de fictions hier, la cartographie a pris aujourd’hui une autre dimension avec les technologies, notamment le GPS et autres mappings. Deux ouvrages, l’un dirigé par Jean-Marc Besse et Gilles A. Tiberghien, l’autre écrit par Alexandre Chollier, nous emmènent sur les chemins de l’histoire de ce mode de représentation où la figure d’Élisée Reclus tient une place majeure. Une lecture recommandée à l’heure où la Cité présente l’exposition “Globes. Architecture et sciences explorent le monde”.
– Jean-Marc Besse et Gilles A. Tiberghien (dir.), Opérations cartographiques, Arles / Versailles, Actes Sud / ENSP, 2017.
– Alexandre Chollier, Les Dimensions du monde. Élisée Reclus ou l’intuition cartographique, Genève / Paris, Bibliothèque de Genève / Les Cendres, 2016.
Athènes, en pleine effervescence au XIXe siècle
par Philippe Gresset
À l’heure où Renzo Piano livre le centre culturel de la Fondation Stavros Niarchos à Kallithea, au sud d’Athènes, deux auteurs, François Loyer et Yannis Tsiomis, analysent, dans deux ouvrages différents, les influences qui ont forgé l’identité moderne de la capitale grecque. Lecture croisée.
– Yannis Tsiomis, Athènes à soi-même étrangère. Naissance d’une capitale néoclassique, Marseille, Parenthèses, 2017.
– Francois Loyer, L’Architecture de la Grèce au XIXe siècle (1821-1912), coll. Mondes méditerranéens et balkaniques, Athènes, École française d’Athènes, 2017.
Dans la complexité de l’univers souterrain
par Jean-François Pousse
Tandis que les tunneliers s’activent à perforer le sous-sol parisien pour fabriquer le réseau du futur Grand Paris Express, un ouvrage nous invite à réfléchir au développement de la ville en profondeur. David Mangin et Marion Girodo décryptent pour nous cet univers souvent labyrinthique des “mangroves urbaines”, autant de ramifications qui riment avec interconnexions. De Montréal à Singapour en passant par Paris, une exploration stimulante des dessous de la ville.
David Mangin et Marion Girodo, avec Seura Architectes, Mangroves urbaines. Du métro à la ville, Paris, Montréal, Singapour, Paris, La Découverte (Dominique Carré), 2016.
Quand Wright échangeait avec Mumford
par Emmanuelle Graffin
C’est l’architecte qui a pris la plume le premier… Le critique ne se dérobera pas. Commence alors une relation épistolaire de trente ans, entre 1926 et 1959, soit cent cinquante lettres qui donnent aussi le ton du débat architectural aux États-Unis. Peu de rencontres entre les deux hommes mais une amitié sans complaisance. Retour sur cette correspondance.
Frank Lloyd Wright, Lewis Mumford. Trente ans de correspondance, 1926-1959, Paris, Klincksieck, 2017.
Gagès en recherche d’expérimentation
par Gabriel Ehret
La figure de l’architecte lyonnais disparu il y a neuf ans réapparaît dans l’ouvrage de Philippe Dufieux René Gagès. La permanence de la modernité. On lui doit notamment le centre d’échanges de Lyon-Perrache, une architecture-infrastructure qui innovait alors en matière de mobilité et de mixité fonctionnelle.
Philippe Dufieux, René Gagès. La permanence de la modernité, Annecy, CAUE de Haute-Savoie, 2017.
Aillaud au-delà du logement
par Emmanuelle Graffin
Dans Désordre apparent, ordre caché, un texte écrit en 1975, l’architecte des tours Nuages à Nanterre et de l’opération de La Grande-Borne à Grigny insiste sur la valeur de l’habiter. S’ouvre alors le débat sur la forme urbaine et sur le devenir des grands ensembles. Relecture.
Émile Aillaud, Désordre apparent, ordre caché, Paris, Le Linteau, 2017.
BIBLIOGRAPHIE "LES LIVRES"
Fiches techniques et notices descriptives d'une centaine de livres récemment parus sur le domaine en langue française.