Retour à Chandigarh

Le 17 Octobre 2023
Dans les jardins du Postgraduate Institute of Medical Education and Research, image extraite du film ... et Pierre Jeanneret. © Christian Barani.

C’est une page d’histoire, de l’Inde mais aussi de la ville au XXe siècle. Une fois son indépendance acquise en 1947, l’Inde se lance très vite dans la construction de la capitale du Pendjab : Chandigarh. Nehru, le Premier ministre, déclare alors : “Que cette ville soit une ville nouvelle, symbole de la liberté de l’Inde, affranchie des traditions du passé, expression de foi de la nation en l’avenir.” On connaît l’enchaînement des choses : un premier plan conçu par Albert Mayer avec Maciej Nowicki (cf. infra, p. 98), l’accident d’avion, l’appel à Le Corbusier. C’est là que commence le film … et Pierre Jeanneret. Le titre annonce la couleur. Tout est dans ce “et”. Comme pour souligner un oubli trop fréquent dans la mémoire collective qui semble ne retenir qu’un seul nom : Le Corbusier. Au-delà de la hiérarchie de la voirie et des grands monuments, il y a ces quartiers bien vivants. Jeanneret y a passé quinze années de sa vie ; ses cendres y ont été dispersées.
Œuvre subtile, le film de Christian Barani est, bien plus qu’un documentaire, une belle narration d’une grande aventure urbaine. Il rend hommage à l’œuvre d’un architecte au service des habitants, nous ouvrant les yeux sur cette “clairière dans la jungle humaine” qui a émergé d’un projet politique. Par la réalité construite et habitée dont il donne l’échelle et la couleur, le film fait apprécier le travail de Jeanneret sur les lieux du quotidien, en marge des puissantes icônes de béton griffées par le grand maître. Cet “essai-documentaire” est conçu comme un portrait, celui d’un homme discret. L’auteur du texte, Emmanuel Adely, qui prête également sa voix, nous plonge dans l’univers indien dans lequel Jeanneret s’est infiltré avec beaucoup de modestie. “Cet homme de 55 ans qui, du jour au lendemain, quitte tout pour une autre langue”, y découvre des notions d’espace et de temps différentes. Ses échanges épistolaires avec Le Corbusier, son cousin, et avec Charlotte Perriand, le grand amour de sa vie, permettent de prendre la mesure des choses. 
Les bâtiments ne sont pas décortiqués mais traversés. L’usage transpire dans les images, que ce soit dans les logements, les écoles ou l’espace public. De nos jours, la nature est encore plus présente dans cette ville qu’il y a soixante ans, et même les animaux y trouvent leur place. La séquence des singes en balance sur fond de grille architecturale est l’un des régals du film que nous offre son réalisateur, cet artiste-vidéaste qui, sur les traces des situationnistes, aime à filmer les villes, d’Almaty à Windhoek en passant par Chandigarh où il aura fait de nombreux voyages.
 

et Pierre Jeanneret, de Christian Barani, prod. Image de ville / Acqua alta, 99’. Présenté en avant-première à la Cité de l’architecture dans le cadre du festival Close-Up (10-17 octobre 2023) ; en salles en 2024.